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Françoise était du genre tranquille, rêveuse et solitaire. Son regard mélancolique suivait les circonvolutions des mouches au plafond ou s’échappait par la
fenêtre au moindre vol d’oiseaux, d’avions ou d’hélicoptères. Bien souvent, elle n’était pas avec nous et lorsque Mlle LACOUME la sentait se
« déconnecter » de la classe, elle la rappelait aussitôt à l’ordre. Françoise était d’un grand calme et ne parlait que très peu. Sa
participation au cours était très limitée. Elle ne répondait aux questions que si le professeur s’adressait à elle. Françoise ne se serait
jamais permise de faire des démonstrations de bras et doigts agités au dessus de sa tête comme notre gaffeuse en titre, Nicole STAUDER.
Les rares fois où elle levait le doigt pour répondre, elle le faisait comme notre amie Christiane VIGNOLES, mais de façon plus discrète
encore. Autant dire que du bureau, on n’y voyait pas grand-chose et de mémoire d’élève, je n’ai jamais vu M. BOURGON faire la courte échelle
à Mlle LACOUME pour voir ce qu’il se passait dans le fond de la classe. Si toutefois elle venait à répondre, c’était avec une grande sobriété
de mots. Elle donnait alors une réponse sèche, sans se donner l’effort de recomposer une phrase comme Mlle LACOUME l’aurait souhaité.
La gymnastique n’était pas sa tasse de thé et elle préférait les moments de récréation où elle pouvait papoter avec ses petites
camarades, dans un endroit reculé de la cour. Elle était une des rares filles à se désintéresser de Jean-Yves TRICOT. Situé à ses antipodes,
elle l’ignorait totalement.
Notre Françoise n’avait qu’un seul désir, vivre sa vie tranquille. Alors pourquoi aller au devant des problèmes ?
Sa voix était très douce, jamais de hausse de ton, jamais de débordements verbaux. Elle faisait toujours dans la modération.
Françoise était une passante qui faisait son bout de chemin peinard. Elle avait horreur d’être dérangée et elle-même ne dérangeait pas les autres.
Une devise pouvait définir sa personnalité : «Pour vivre heureux, vivons cachés».
Comme nous tous, elle avait été choisie parmi les meilleurs de Gambetta ou de Pasteur pour composer notre Première Classe de 6ème du
Cours Complémentaire. Ce choix avait dû se faire un peu contre son gré car Françoise ne s’est jamais réellement « accrochée » au
rythme de la classe. Ses ambitions étaient plus basiques, travailler, trouver un mari, avoir des enfants.
En somme, être une vraie maman. Vocation qui, de nos jours, est trop souvent altérée par le stress des femmes
surchargées de travail. Les bambins en font les frais, au grand dépit des mamans et des papas. Toutes les mesures prises par les gouvernements successifs ne sont que des bouts de sparadrap qui ne
pansent que trop peu leurs blessures.
Danielle était avare de sourires. Elle avait un caractère plutôt ténébreux et il n’était pas facile de savoir ce que notre camarade pensait. Elle n’était
pas du genre à se confier au premier venu. Ses attitudes nous donnaient parfois l’impression qu’elle boudait. Interrogée, elle parlait «dans sa barbe» et piquait du nez sur la table. La
maîtresse lui demandait alors de relever la tête et de s’exprimer à haute et intelligible voix, ce qu’elle faisait avec peine.
Mme VASSORT a toujours regretté que Danielle n’ait pu passer en 3ème, car le niveau de son élève était plutôt bon, comparativement à celui de certains élèves, qu’elle avait eus plus
tard. Ce choix était issu d’une décision collégiale et le sien différait.
Danielle se serait ressaisie, aurait assuré sa place dans sa nouvelle
classe et obtenu son BEPC comme tous ses autres camarades. Mme VASSORT m’avait tenu ces propos dans le salon de coiffure de ma sœur
Françoise, situé dans le faubourg d’Orléans, à Montargis.
Chère Danielle, j’ai fait un portrait qui met en évidence le coté
renfermé de ta personne. Il n’empêche que tu étais une très bonne camarade et si Mme VASSORT te demandait de corriger tes attitudes,
c’était dans le simple but d’éveiller ta propre personnalité et de mettre à la lumière tout ce qu’il y avait de beau et bon en toi.